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M. Bonijol : "Le 9 juillet 1943, tout a basculé dans ma vie"

Jeudi 17 juin 2010

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Le 27 mai dernier, vous avez pris la parole lors de l'hommage aux résistants de la Seconde Guerre mondiale sur la place de la République à Mende. Cette journée semble importante à vos yeux.

Très. Toutes les personnes qui ont vécu ces douloureuses années aimeraient que le 27 mai soit reconnu comme Journée de la Résistance. Ce serait aussi l'occasion d'intervenir dans les écoles pour parler de nos combats aux jeunes enfants. Un principe d'ailleurs qui m'a toujours tenu à cœur. Durant ma carrière d'instituteur [Jean Bonijol a également été directeur du Groupe scolaire, NDRL], j'ai toujours évoqué la résistance à mes élèves même s'il était difficile de leur faire comprendre les atrocités de la guerre.

Au début de la Seconde Guerre mondiale vous étiez étudiant. Comment passe-t-on de ce statut à celui de résistant ?

J'étais fils d'enseignants; mes parents m'ont toujours inculqué des valeurs laïques et républicaines, à l'inverse de celles prônées à l'époque par le régime nazi allemand. Et puis, j'ai reçu une formation syndicale, or le gouvernement supprimait tous les avantages que les travailleurs avaient réussi à obtenir. C'était un climat pesant. Alors le jour où j'ai été admis à l'École normale et que le maréchal Pétain a décidé de la supprimer, je suis devenu résistant. Je ne me suis pas présenté à Mauriac dans le Cantal pour rentrer dans le STO [Service du Travail Obligatoire, NDRL] le 9 juillet 1943. Ce jour-là, tout a basculé dans ma vie : j'ai perdu mon identité, mon travail et j'ai laissé mes parents dans les Cévennes. Je leur ai juste envoyé une lettre en leur disant que j'étais en Savoie alors que je ne suis jamais parti de la Lozère. Mais je ne voulais pas qu'il leur arrive quelque chose.

Qu'avez-vous fait à ce moment-là, vous qui étiez un hors-la-loi ?

J'avais un camarade à Sainte-Croix-Vallée-Française. Je l'ai rejoint. J'ai travaillé dans une ferme où j'ai évidemment participé à la fenaison et aux différentes récoltes jusqu'en novembre 1943. Ensuite, je suis parti dans le maquis où nous étions trente jeunes. Nous formions des soldats résistants et les habitants des alentours nous donnaient de la nourriture. Mais nous ne mangions pas à notre faim : il nous manquait surtout du pain et de la viande. Alors un jour, nous avons volé dans le Gard des cartes d'alimentation que nous avons gardées et distribuées à d'autres maquis par la suite.

Quel rôle précis aviez-vous dans la résistance ?

En 1944, j'ai constitué une équipe de réception et de protection des parachutages avec une trentaine d'hommes. Nous écoutions tous les jours la BBC qui diffusait des messages codés. Nous savions alors quand et où des soldats allaient envoyer des armes sur la Can de Ferrières, près de Barre-des-Cévennes. Nous préparions alors des balisages avec des phares de voiture. Trois en ligne droite et un quatrième à l'extrémité, toujours en direction du vent. Et on réussissait à communiquer avec les aviateurs avec ces lumières, comme en langage morse. Sauf que dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944, un brouillard terrible a empêché le largage des armes. C'est d'ailleurs la seule fois que nous nous servions d'un terrain baptisé Balzac. En tout, nous avions réceptionné douze parachutages. Puis, avec les camarades, nous les distribuions aux autres maquisards.

Comment votre vie de résistant s'est-elle terminée ?

À la libération de la Lozère, avec mon équipe, nous sommes descendus à la caserne de Nîmes. Les militaires m'ont nommé sergent. Je devais donner des cours à de jeunes soldats et leur apprendre l'usage des cartes, des boussoles et les aider à calculer des trajectoires. Mais je n'ai jamais eu la fibre militaire ! J'ai donc demandé le 20 août 1944 ma démobilisation et dans le même temps, j'ai écrit une lettre à l'inspecteur académique de Lozère pour l'avertir que j'allais enseigner à la rentrée prochaine. Chose qui s'est produite !

Vous avez des amis qui sont morts pendant la guerre, vous avez vécu des années de peur et de souffrance. Comment s'en remettre ?

Je pense tous les jours à la guerre, à ces moments difficiles. Mais je suis fier d'avoir combattu pour la France. Satisfait aussi que la mémoire perdure grâce à l'association des Anciens Résistants en Lozère et de la création des Amis de la Résistance, présidée par Denise Rouveyre, fille de déportés. Ne jamais oublier est une démarche primordiale.